POÉSIES I
Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des
sophismes.
Les premiers principes doivent être hors de discussion.
J'accepte Euripide et Sophocle; mais je n'accepte pas Eschyle.
Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvais goût
envers le créateur.
Repoussez l'incrédulité: vous me ferez plaisir.
Il n'existe pas deux genres de poésies; il n'en est qu'une.
Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle le premier
s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade. C'est le poète qui console
l'humanité ! Les rôles sont intervertis arbitrairement.
Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur.
Je ne laisserai pas des Mémoires.
La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuve majestueux et
fertile.
Ce n'est qu'en admettant la nuit physiquement, qu'on est parvenu à la faire passer
moralement. O Nuits d'Young ! vous m'avez causé beaucoup de migraines !
On ne rêve que lorsque l'on dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant de la
vie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ont
infiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture.
Passer des mots aux idées, il n'y a qu'un pas.
Les perturbations , les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans
l'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les abrutissements, les hallucinations
servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les
insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est
inattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieux
qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées,
les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculation
des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies,
les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence,
le splëen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur
préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par
lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence de
sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que
les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d'assises , les tragédies,
les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison
impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles ,
les poulpes l, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche,
nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire,
spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos,
pédéraste, phénomène d'aquarium et femme à barbe, les heures soûles du
découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes
démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l'enfant, la désolation,
ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses aux camélias , la
culpabilité d'un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec
des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient
dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiômes sacrés, la
vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées , comme celles de
Cromwell, de Mlle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les
blasphêmes, les asphyxies, les étouffements, les rages, --devant ces charniers immondes,
que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous
courbe si souverainement.
Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans le piége
de ténèbres construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre.
Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'est le
nec plus ultrà de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santé
suprême et l'équilibre de toutes les facultés. Villemain est trente- quatre fois plus
intelligent qu'Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire de
l'Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous les
romans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux , parce qu'il décrit les
passions pour elles-mêmes: la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est
rien; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n'y
tenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, est
autre chose. Celui qui s'abstiendra de faire la première chose, tout en restant capable
d'admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, de
toute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première.
Par cela seul qu'un professeur de seconde a dit: « Quand on me donnerait tous les
trésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzac
et d'Alexandre Dumas », par cela seul, il est plus intelligent qu'Alexandre Dumas et
Balzac. Par cela seul qu'un élève de troisième s'est pénétré qu'il ne faut pas
chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort,
plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, s'il n'avait fait que des romans, des
drames et des lettres.
Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix
pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c'est que la morale. Elle ne transige pas. S'il
le faisait, il devrait auparavant biffer d'un trait de plume tout ce qu'il a écrit
jusqu'ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d'hommes
compétents: je soutiens qu'un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n'importe
quoi, même dans la sale question des courtisanes.
Les chefs-d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les
lycées, et les discours académiques. En effet, l'instruction de la jeunesse est
peut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation des
ouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrages eux-
mêmes.--Naturellement !
Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuse idée
du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient les
générations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail.
En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volonté
indomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. Oui: je
veux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goîtreuses et
des fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de ce
siècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont
pas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré dans l'efflorescence de son énergie,
impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires d'une
pitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il faut
veiller sans relâche sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Je
méprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir,
qui déplace la justesse de la pensée.
Quelques caractères, excessivement intelligents, il n'y a pas lieu que vous l'infirmiez
par des palinodies , d'un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dans les bras du
mal. C'est l'absinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tua moralement
l'auteur de Rolla , Malheur à ceux qui sont gourmands ! A peine est-il entré dans l'âge
mûr, l'aristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs de Missolonghi , après
n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium des mornes
anéantissements.
Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son temps un autre
poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une intelligence exceptionnelle, et
capable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, l'inutilité de
ses efforts pour produire des malédictions disparates; et que, le bien exclusif est,
seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Le
fait fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce qu'aucun n'a
dit. Chose étrange ! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque,
aucun critique n'a songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce
n'est que celui qui le surpassera qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de
stupeur et d'inquiétude, plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages
écrits d'une main perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations
imposantes d'une âme qui n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à
son aise dans les conséquences dernières d'un des deux moins obscurs problèmes qui
intéressent les coeurs non-solitaires: le bien, le mal. Il n'est pas donné à quiconque
d'aborder les extrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique
pourquoi, tout en louant, sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il
dénote à chaque instant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité,
l'on fait, en silence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi
injustifiables qu'il en a faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les domaines
sataniques.
La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, des Victor
Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands
criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromper ici ,
je le demande avec une lenteur qui s'interpose? Ô dadas de bagne ! Bulles de savon !
Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! Qu'ils s'approchent , les Konrad, les Manfred,
les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les
Don Juan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les
mégères à l'instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de
cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l'Hindoustan,
le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, de
l'antique Égypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, les
Prométhée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomis
par l'imagination primitive des peuples barbares,--toute la série bruyante des diables en
carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et de la
concentration qui soupèse, et j'attends ces monstres de pied ferme, comme leur dompteur
prévu.
Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron l, sombres
mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtes
crétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, qui
descendent au lieu de monter. Exercice scabreux; gymnastique spécieuse. Passez donc,
grotesque muscade. S'il vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs, à la
douzaine, de rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du premier
coup, comme aujourd'hui , le joint de la solution frivole. Cas pathologique d'un égoïsme
formidable. Automates fantastiques: indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants ,
l'épithète qui les remet à leur place.
S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgré leur
intelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des planètes qu'ils habiteraient
la honte. Figurez-vous-les, un instant, réunis en société avec des substances qui
seraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats, dont ne
rêveront pas les boule-dogues , interdits en France, les requins et les
macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiques
pleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe, effarée sans retour, s'enfuit à
tire-d'aile. C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'elles
font. Ce sont des chocs de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à travers
les hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne
peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en
empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur non
équilibrée, c'est prouver, ô moribonds des maremmes perverses ! moins de résistance et
de courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dans
mes foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé du
manteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble de
rebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tu
souhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que,
sous l'indice des repentirs, je t'ai causés autrefois, crebleu , ramène alors avec toi,
cortége sublime,-- soutenez-moi, je m'évanouis !--les vertus offensées et leurs
impérissables redressements.
Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dans les
artères de nos époques phtisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales,
brevetées sans garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, des
Châteaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autres
poètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicide
de Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, les
yeux sanguinaires de Zorilla , et l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois,
avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote , les douleurs invraisemblables que ce
siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l'ont rendu
poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables !
Allez, la musique.
Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu,
avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth l, qui,
répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne
viennent pas du coeur, sans machine pneumatique , fait, partout, le vide universel. C'est
ce que vous avez de mieux à faire.
Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit
imperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales,
et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière
humain dans les raisonnements. Allez, et passez - moi le mot ! L'on devient méchant, je
le répète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce
que j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.
La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cette douleur,
l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avec
les chercheurs. A bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d'embarras, poseurs
! Ce qui souffre, ce qui dissèque les mystères qui nous entourent, n'espère pas. La
poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les
discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps: rien ne sera
plus facile à vérifier.
Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole , c'est puéril. Ce n'est même que parce que
l'auteur espère que le lecteur sous- entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'il
se trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'est
au nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ô
saltimbanques de malaises incurables.
Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, de
mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leurs corps !
La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute; le doute est le
commencement du désespoir; le désespoir est le commencement cruel des différents
degrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant du
siècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à la
méchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne flattez pas le
culte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal,
qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent: ils sont poursuivis par la
lubricité.
Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousser rétivement
une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultés correspondantes des
intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Nous sommes en présence du déraillement
d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient la plume. Apprenez que l'âme se
compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de ces mendiants qui ont un chapeau
grandiose, avec des haillons sordides !
Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux poètes. Lisez, devant
une jeune fille, Rolla ou Les Nuits, Les Fous de Cobb, sinon les portraits de Gwynplaine
et de Dea, ou le Récit de Théramène d'Euripide, traduit en vers français par Racine le
père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains, sans but
déterminé, comme un homme qui se noie; les yeux jetteront des lueurs verdâtres.
Lisez-lui la Prière pour tous , de Victor Hugo. Les effets sont diamétralement opposés.
Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit aux éclats, elle en demande
davantage.
De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants , où se trouve beaucoup de
mauvais.
Paul et Virginie , choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois, cet
épisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufrage
final, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups de
pied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contresens. Il faut faire
voir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je ne
l'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient auguste
par la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais l'homme ne doit pas créer le
malheur dans ses livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côté
des choses. Ö hurleurs maniaques , que vous êtes !
Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie, l'ordre
qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, le mariage,
les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes: Sand, Balzac,
Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et la Grève
des Forgerons !
Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de la douleur, et
qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public.
Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort; mais ces
beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la cause occasionnelle. Ce
n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle. Les vérités immuables et
nécessaires, qui font la gloire des nations, et que le doute s'efforce en vain
d'ébranler, ont commencé depuis les âges. Ce sont des choses auxquelles on ne devrait
pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie en littérature , sous prétexte de
nouveau, tombent dans le contre-sens. On n'ose pas attaquer Dieu; on attaque
l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elle aussi, est vieille comme
les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, si elle doit être remplacée?
Ce ne sera pas toujours une négation.
Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté absolue de
Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondreront d'eux-mêmes.
S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétique qui s'est appuyée sur
eux. Toute littérature qui discute les axiômes éternels est condamnée à ne vivre que
d'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les novissima Verba font sourire
superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas le droit
d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.
Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.
Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à ces
sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la pièce ainsi
remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai,
avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu.
La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions
contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle brusquement
interrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement du
grand Voltaire.
Il paraît beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter les causes
finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parce qu'il
n'y a rien de plus bête ! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés; la
poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé
d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui? aux Grandes-Têtes-Molles de notre
époque. Grâce aux femmelettes, Châteaubriand, le Mohican - Mélancolique; Sénancourt,
l'Homme-en-Jupon; JeanJacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur; Anne Radcliffe, le
Spectre-Toqué; Edgar Poe, le Mameluck-des-Rêves-d'Alcool; Mathurin, le
Compère-des-Ténèbres; Georges Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis; Théophile Gautier,
l'Incomparable- Epicier; Leconte, le Captif-du-Diable; Goethe, le Suicidé- pour-Pleurer;
Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante; Lermontoff, le
Tigre-qui-Rugit; Victor Hugo, le Funèbre-Echalas-Vert; Misçkiéwicz, l'Imitateur-de-
Satan; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle; et Byron,
l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales
Le doute a existé en tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité. Nous
respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois; cela ne se
reverra plus.
Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que, la
première chose que font les professeurs de quatrième , quand ils apprennent à faire des
vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du lait
maternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous
demande un peu, beaucoup! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes
à traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussante
comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à un
laboureur. A quoi bon regarder le mal? N'est-il pas en minorité? Pourquoi pencher la
tête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont fait
perdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron?
Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jour par
jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux , Ces plaies de la nature animale et
humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Comme nous nous
connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avec naïveté, que
ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance , Il croyait voir une armée
de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ils s'envolaient
ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureur et ses
enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageait avec
les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, qui retombait
en éboulements. De la masse soulevée des décombres--cela ne ratait jamais --il voyait
sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son coeur, de l'autre une feuille de
papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélican et celle du
laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. Il ne fut pas facile, au premier
abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se taire soigneusement,
et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Je conseillai à sa
mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela se passerait. En effet,
j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelques heures, et cela se passa.
Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases.
Arrangez-vous.
Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer.
Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle.